Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE PIGEON BLEU
7 janvier 2008

Situation à Nablouse (Palestine), témoignage direct:

Situation à Nablouse (Palestine), témoignage direct:

"

Il est 13 heures, jeudi 3 janvier, nous sommes sous couvre feux et Wajdi est dehors muni d'un sac remplit de matériel médical pour seule protection.
Les explosions ont commencé à retentir vers 2 heures dans la nuit, mais cela n'avait rien d'exceptionnel, c'est disons une coutume nocturne régulière. Vers 6 h 30 les soldats ont pénétrés dans notre immeuble, ils sont montés sur le toit et ont investit l'appartement de notre voisin.
Les microphones des véhicules militaires hurlaient : couvre-feux, nul n'est autorisé à sortir de chez lui.
Depuis les explosions n'ont pas cessé, des coups de mitraillettes, tirs de gaz, des explosions sourdes ou des grêlons fumant résonnent sur notre immeuble. On hésite a laisser les fenêtres ouvertes pour éviter l'implosion des vitres ou les fermer pour échapper au gaz.
La télévision locale a annoncé l'explosion d'un immeuble ce matin.
15 minutes plus tôt Wajdi est sortit frapper chez notre voisin pour vérifier sa santé et celle de sa famille, par la fenêtre je l'ai vu s'engouffrer ensuite dans le labyrinthe de la vieille ville.
C'est ce matin que j'aurai du obtenir la réponse pour mon visa et récupérer mon passeport, pour le moment je n'ai aucun papier d'identité c'est pour cette raison que je n'accompagne pas Wajdi.
Le sac contenant tout ce que nous possédons de précieux c'est à dire nos deux ordinateurs, l'appareil photo de l'association et 250 sheckels est prêt, je le garderai avec moi s'ils entrent.
J'écris vite parce que je voudrais envoyer cet e-mail maintenant mais qu'à tout moment notre appartement peut être envahit.
A l'instant quelqu'un à frappé à notre porte, mon beau-père à ouvert, personne. Fausse alerte mais je suis tremblante.
J'ai promis à Wajdi de l'appeler si les soldats arrivent chez nous, mais cet incident me prouve que ce sera impossible. Les portes de notre voisin grince, il y a du mouvement à côté.
--

6_janvier___rentrer_chez_soi_1_

3/1/2008

Wajdi est finalement rentré, non sans difficulté vers 17 heures.
Impossible d'accéder à quelque maison que ce soit. Il a échappé à plusieurs reprises aux soldats qui n'hésitent pas à tirer sur n'importe quelle personne se trouvant sur leur chemin : journalistes, ambulances, urgentistes... Tous à la même enseigne, la seule conversation possible se résume à "dégage" et immédiatement après intervient un autre niveau de langage qui est celui du M16. Il existe une alternative qui consiste à réduire le temps de parole "vocal".
Wajdi qui a pourtant une triste habitude de ces situations trop souvent répétées, est décomposé : jamais la violence des militaires n'a été aussi crue. La recrue de la nouvelle année 2008 promet d'être savoureuse.
Une quinzaine de soldats se trouvent toujours postés dans l'appartement voisin et sur le toit et un véhicule blindé bloque l'entrée de l'immeuble. Notre voisin, sa femme et ses enfants sont venus se réfugier chez nous pour la nuit. L'armée les avaient envoyés dans l'appartement d'en face, mais il n'y avait pas assez de place pour tout le monde.
La traversée de quelques secondes c'est révélée être une vraie opération commando. Par téléphone nous nous mettons d'accord, nous guettons les bruits un moment, surveillons les allées et venues des militaires par la fenêtre, par le judas de la porte. Il y a approximativement 5 ou 6 mètres entre notre porte et celle d'où ils vont sortir. Première tentative : ouverture des portes le plus discrètement possible, le son de pas de bottes résonne dans les escaliers, on referme juste à temps. Quelques minutes plus tard la seconde tentative est la bonne. Je ne suis pas persuadée que nos occupants apprécieront cette affectation logistique s'ils s'en aperçoivent, mais bon.
Toute la journée mes beaux-parents et moi avons fait les 100 pas, les oreilles aux aguets, un œil sur la télé qui donnait quelques images et des informations sur la situation en direct, l'autre œil par la fenêtre ou devant le judas. Au moins maintenant on va avoir de l'animation avec les gosses qu'il va falloir occuper, je pressens beaucoup de dessins animés et de longues parties de cartes pour les adultes.

6_janvier___souvenirs_de_vacances

4/1/2008

Comme prévu les parties de cartes ont du succès, surtout depuis que l'électricité à été coupée. Les poubelles s'entassent, les enfants s'impatientent, les vivres diminuent, ma belle mère est de plus en plus fatiguée, les tensions dues à la vie en communauté et l'enfermement augmentent.

En clair : 34ème heure d'invasion.

Aujourd'hui une quarantaine de blessés, le même nombre d'arrestations.

Enfin ne nous plaignons pas, nous bénéficions d'un large choix de divertissements. Nous profitions d'un très spécial "son et lumière", les feux de la rampe sont sur nous...
Un projecteur est braqué dans notre direction, il illumine toute la vieille ville. Entre ça, les fusées de détresse les divers fumigènes colorés et les différentes pétarades comprenant diverses sonorités, rythmes et vibrations, on est au beau milieu d'un feu d'artifice . Comme en plus nous avons la chance d'être les voisins d'un "QG" semble-t-il, nous profitons des allées et venues de toutes les bidasses du coin, parfois de leurs chiens, de leurs innombrables cartons...

Ce spectacle n'est jamais sans provoquer de nombreuses émotions chez nous : si les cartons montent "ils vont rester encore longtemps", si les cartons descendent "ils sont sur le point de partir". Quand un fourgon arrive, nous trépidons "il est venu tous les chercher", si quinze militaires en descendent "ils ramènent des renforts, ça sent pas bon". Comme nous les avons entendu planter des clous une bonne partie de la nuit, ça a nourrit nos polémiques "ils doivent installer leurs équipements informatiques", "ils peuvent tout contrôler d'ici, ils enregistrent les téléphones", "ils ont des espèces de gros radar, je les ai vu !". Bien sur nous avons entretenu le sempiternel "mais combien ils sont là dedans ?" car leur décompte à le grand intérêt de nous occuper. Vraisemblablement, alors qu'ils étaient une petite dizaine hier matin ils sont environs une trentaine maintenant.

Le scénario est bien rodé, il est le même que celui d'El Ain il y a quelques semaines, je reconnais les mêmes étapes. Quelques nuances seulement, les maisons de la vieille ville étant toutes plus ou moins collées les unes aux autres, certaines familles se retrouvent né à né avec des soldats venus du ciel.
En tous cas venant d'un autre monde, un monde où on a aucune pitié, où on empêche les ambulances de venir chercher les blessés, où les mères doivent supplier pour récupérer les biberons de leurs bébés, où on refuse aux familles de s'enfuir. "Ça", c'est ce que mes yeux ont constatés en restant chez moi, alors ce qui se passe ailleurs...

Notre matinée à été consacrée aux négociations consistant à récupérer les médicaments de la petite dernière de Thaer (notre voisin réfugié chez nous), les biberons, les couches. Thaer voulait partir se réfugier chez ses parents, mais sa carte d'identité était aussi captive que son appartement. Chacun notre tour, nous avons essayé de l'obtenir. Ma tentative fut assez comique. J'ai commencé par me recoiffer et me brosser les dents "tu ne veux quand même pas essayer de les draguer ?" me demande Wajdi, "mais non, mais ça peut jouer...". Bon, j'allume une cigarette pour contenir ma nervosité, une seconde, je prépare mon plaidoyer, fume une troisième cigarette et je sors. J'appuie sur la sonnette, pas de réponse, j'appuie à nouveau et j'attends. Wajdi ouvre notre porte:
"- tu as sonné ?
-oui
-il n'y a pas d'électricité, ils ne risquent pas de t'entendre !"
Je frappe, quelques secondes plus tard un soldat qui n'ouvre même pas me demande qui je suis :
"-je suis la voisine, je, je... (je perds mon anglais) je voudrais récupérer la carte d'identité du locataire de cet appartement, parce que...
- plus tard
- c'est parce qu'avec sa femme et ses trois enfants, ça devient un peu serré chez nous, alors ça nous aiderait
- ...
- il y a quelqu'un ?
- ..."

Finalement en début de soirée, ils nous l'ont rendu en même temps que l'électricité. Mais de toutes façons il était trop tard pour essayer de partir, du coup nous sommes encore 9 dans un F3 pour la nuit.

L'avantage de vivre avec Wajdi et sa famille, c'est qu'ils ont l'habitude. Tout est prévu pour les cas d'urgence : un sac de 10 kilos de farine, un de riz, deux bouteilles de gaz d'avance, de l'eau, des cigarettes, des biscuits secs. Force est de constater que ça nous a été bien utile aujourd'hui, comme par hasard la bouteille de gaz du réchaud et celle du chauffage se sont trouvées vides en même temps. Nous n'avions plus de pain (base de l'alimentation), alors la maman de Wajdi s'est mise aux fourneaux ce matin : du pain et du zaatar et le petit déjeuner était prêt pour tout le monde !
Dans l'après-midi un groupe d'urgentistes est venu nous apporter du pain et vérifier si nous nous portions bien. Ça m'a donné une impression bizarre, il y a quelques semaines j'étais à leur place. Je pourrais aussi être à la place de Thaer, ils occupent son appartement, ça aurait pu être le mien.

Il faut dire que mon voisin n'a pas tellement de chance. Le mois dernier, il a fait importer de Chine tout un ensemble de composants électroniques pour son commerce de téléphones portables. Depuis prêt de 30 jours le contener est bloqué aux douanes portuaires car il a été déclaré non-conforme. Pour chaque journée, l'espace qu'il "loue" pour ses produits lui coûte 400 euros et naturellement ils refusent de renvoyer le paquet.

Obtenir un salaire relève presque du miracle ici, qu'on soit commerçant, artisan, agriculteur ou qu'on travaille dans l'administration il y a toujours quelque chose : les douanes, les check-points, les invasions, les réquisitions, les aléas des soutiens économiques extérieurs.

6_janvier___les_stores_des_magasins__ventr_s_vomissent_leurs_marchandises

Peu avant l'Aid, le frère de Wajdi qui fabrique des meubles d'intérieur, a reçu une commande d'un salon de huit places. C'était inespéré, depuis des semaines il n'avait rien vendu, alors pendant une semaine il a travaillé sans relâche. Le jour de la livraison, après avoir attendu des heures au check point d'Howara, il s'est vu refuser le passage "les livraisons de marchandises sont désormais interdites ici". Il a rebroussé chemin, il a fait un détour et est passé par un autre check point. Quelques minutes avant d'arriver à destination il a été stoppé à nouveau : "vous ne pouvez pas aller plus loin, des collons attaquent les villageois" "nous vous interdisons l'accès pour votre sécurité".
La location du camion et l'essence une journée de plus lui sont revenus à 800 sheckels, la marge qu'il aurait du gagner.

Je ne comprends même pas l'intérêt stratégique de ces invasions. Qu'ils se rassurent, ici on crève déjà.

Ce matin, Thaer et sa famille, ont fuit l'immeuble malgré le nombre encore supérieur de militaires et l'élargissement de la zone d'invasion.
Wajdi les accompagnait.
Il est revenu environ deux heures plus tard avec une équipe médicale. Ils étaient complètement épuisés et assoiffés.
De justesse, ils venaient de rescaper une femme et ses trois enfants. Une bombe lacrymogène avait été lancée dans leur appartement, comme celui-ci est à moitié enterré, la fumée les avait encerclé en quelques secondes, les aveuglant et les asphyxiant. De l'oxygène pour les enfants a suffit mais leur mère, qui est restée plus longtemps exposée, parce que les urgentistes ne parvenaient pas à la retrouver, est dans un état critique.
Le docteur de l'équipe, une jeune diplômée, a examiné ma belle mère. Ce fut un soulagement pour nous car ces derniers jours sa santé était préoccupante. Finalement c'est une simple réaction allergique, probablement due aux gaz, qui avait déclenché un crise d'asthme. En attendant la fin de l'invasion un peu de ventoline devrait la calmer. Il nous ont fournit les médicaments et du pain et sont repartis.
Des fenêtres, des habitants les appelaient, ils n'ont pu en secourir que quelques uns. Sur 9 familles qu'ils ont visités les 9 nécessitaient des soins.

A 14h45, les soldats qui occupaient l'appartement de Thaer ont commencé à descendre des dizaines de sacs et de cartons, j'en ai même vu descendre les poubelles. Dix minutes plus tard, plus un bruit. En un instant nous ouvrons tous nos portes "ils sont partis ?" "ils sont partis !!" On entendrait presque des youyous de victoires, les petits se ruent dehors, dévalent les escaliers en hurlant. Les adultes ahuris sortent sur les paliers, demandent des nouvelles les uns aux autres. J'aperçois ma belle mère faire une prière que je sais être de remerciement. Mon beau-père entre dans l'appartement de Thaer "c'est vide", nous entrons tous. Un subtil parfum, mélange de merde, de gaz et de rance nous empoigne. Le spectacle est désolant. Je pense à ce que j'aurais ressentit si j'avais retrouvé dans cet état notre appartement, notre chambre dont nous venons de finir la décoration.
Petit à petit nous voyons les autres véhicules quitter notre rue puis notre quartier. Mon beau-père est inquiet pour son magasin, alors Wajdi et moi sortons pour aller constater les dégâts.
Nous croisons beaucoup de gens en pyjamas venus s'enquérir de la santé de leurs proches, de l'état de leurs commerces. Les rues sont couvertes de détritus, d'eau, de cartouches vides. L'odeur du gaz est si tenace qu'elle nous prend encore la gorge et nous brûle les yeux. De nombreuses portes ont été explosées, la plupart des stores des magasins ont été détruits vomissant leurs marchandises. Une bonne étoile veille sur nous, le magasin de mon beau-père est intact.
En moins d'une demie-heure, les ruelles de la vieille ville sont noires de monde. J'entends crier "Allah Ouakbar" et je vois défiler des dizaines de jeunes courant et applaudissant. Wajdi m'indique qu'ils sont venu fêter la poignée de résistants qui ont survécu. Je n'aime pas ces mouvements de foules, je commence à m'interroger. Pourquoi l'armée israélienne a-t-elle quitté la ville en plein milieu de l'après midi et en quelques minutes ? Je suis prise de panique, c'est un piège j'en suis sure. Je veux rentrer.

6_janvier___ils_s_en_vont____

De retour chez nous, nous trouvons les deux frères de Wajdi et sa sœur venus nous embrasser. Quelques minutes à peine s'écoulent et Majed reçoit un coup de téléphone de sa femme, restée chez eux dans les hauteurs de la ville. Les soldats redescendent, deux de leurs voisins sont blessés.

C'était il y a une heure et demie. Maintenant, Naplouse est de nouveau vide et silencieuse.

Publicité
Commentaires
N
"L'attentat" de Yasmina KHADRA ?<br /> Il montre bien le douloureux cheminement de la résignation à la révolte nihiliste...<br /> <br /> Ceux qui, par leur domination brutale, conduisent à pareille extrémité sont des monstres... Ce sont eux les monstres !<br /> <br /> NOSE
E
Oui et comment se rebeller contre cette humiliation quotidienne sinon que par des actions kamikazes.<br /> <br /> Ces témoignages en direct sont "ignorés", bien entendu, des agences de presse centralisatrices et objectives, et renvoient toujours les mêmes dépêches du pauvre colonisateur (armé jusqu'aux dents par l'occident) attaqué par des barbares.
P
sur la répression que subissent les palestiniens et les méthodes de l'occupant. Ça a des relents de déjà vu...
Publicité
Derniers commentaires
Publicité