La Réunion , c'est bien la France , non ?
Chiche, M. le Préfet, chiche !
ON peut - raisonnablement - s’étonner des propos tenus par le préfet devant le Conseil Général à la mi-décembre. On peut même s’offusquer de la brutalité, voire de la violence de ses propos. On peut ne pas s’étonner du silence des conseillers généraux, à commencer par la présidente, “tétanisés” pour reprendre l’expression d’un journaliste, devant ce que d’aucuns auraient pu assimiler à une agression, voire à du mépris. Encore que l’on peut considérer, non sans raison, que chacun est dans son rôle. Bof ! Faut-il faire une guerre pour cela, lorsque les premiers intéressés ne trouvent rien à redire... sauf “dans le dos” du représentant de l’État ?
En revanche, force est de considérer que le préfet n’a pas tout à fait tort lorsqu’il dit “non aux contrats magouille”, car qui d’autre que l’État, et par conséquent son représentant, détient l’ensemble des éléments de ces “contrats magouille” ?
C’est en effet l’État qui a compétence en matière d’emploi et c’est à ce titre qu’il a institué “outre-mer”, il y a de cela près d’un demi-siècle les “chantiers de développement”. (Que les Réunionnais ont plus prosaïquement dénommés « chantiers de chômage » ou « quinzaine de chômage », ce qui faisait que les titulaires de ces contrats travaillaient... « au chômage » ! Curieuse “spécificité” !)
C’étaient là les premiers “contrats aidés” et qui n’ont pas évolué dans leur essence, puisqu’il s’agissait de mettre à la disposition des collectivités, voire de grands services, de la main d’œuvre gratuite, payée par des crédits d’État. Les noms et sigles de ces contrats ont changé pour en arriver aux CES, CIA, CEC et autres, mais le fond est resté le même.
Force est ensuite de constater que l’État intervient tout au long de la chaîne :
c’est lui qui délègue les crédits
c’est lui qui fixe les “quotas” de contrats attribués à chacun des DOM : cela se passe à Paris, au FEDOM qui se réunit sous l’autorité des ministères compétents ;
c’est encore lui qui, par l’intermédiaire de ses représentants locaux, préside à la répartition des contrats entre les divers utilisateurs ;
c’est toujours lui qui, seul, a les moyens, et surtout le devoir, de vérifier la bonne utilisation de cette main d’œuvre payée par l’État, et, en conséquence, de prendre les mesures qui s’imposent ;
et c’est enfin à l’État que reste la possibilité, et même le devoir, du contrôle de la légalité pour le cas, non pas de “magouilles” avérées qui ne sauraient échapper à sa vigilance, mais où les règles n’auraient pas été respectées, notamment par les collectivités.
Pour prendre une image, l’État est, dans cette affaire, le maître d’ouvrage à qui il incombe de veiller au respect, par les maîtres d’œuvre, exécutants et autres sous-traitant, et à la bonne mise en œuvre du dispositif. (1)
En conséquence, les propos du Préfet ne peuvent être pris à la légère ou mis sur le compte d’un quelconque “dérapage” : il parle en connaissance de cause. Cela peut traduire une volonté de rupture avec des méthodes du passé qu’il conviendrait alors de saluer, étant entendu qu’il ne saurait être question pour l’État de s’exonérer de ses propres compétences et responsabilités en matière d’emploi.
Dans cette perspective, louable, on pourrait lui signaler l’existence d’un rapport du CESR réalisé en 2002, sur saisine du Conseil régional, et intitulé « Pour un dispositif répondant aux besoins de l’emploi à La Réunion » ; rapport justement consacré aux emplois dits “aidés” et qui envisage quelques préconisations.
Quant à l’action elle-même, son expression “non aux contrats magouille” constitue un excellent mot d’ordre. Mobilisateur et susceptible de rassembler bien des énergies pour bousculer de vieilles habitudes.
Ça vaudrait presque le coup de créer un comité analogue à celui pour l’égalité, mais cette fois pour dire “Non aux contrats magouille”, “oui à de vrais contrats de travail”, “oui à de vrais projets d’insertion” : c’est là une bataille qui en vaut la peine.
Alors, oui, chiche, M. le préfet, chiche ! Et chiche également à tous les autres !
Georges-Marie Lépinay
(1) Il y a certes quelques exceptions où le maître d’ouvrage devient le maître d’œuvre, l’exécutant. C’est par exemple lorsque, par l’intermédiaire de ses propres services, l’État utilise pour son compte cette main d’oeuvre gratuite. C’est le cas de l’Education nationale. Voire de la direction du travail qui s’est attribué un contrat précaire pour s’occuper de tous les autres précaires ! Ou encore du Ministère de la Justice.
Témoignages Réunion .
claude .