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LE PIGEON BLEU
7 avril 2010

Comprendre avant de condamner

Paul Vergès ne s’avoue jamais battu, comme il l’a encore montré au soir de sa défaite, dimanche dernier. C’est que baisser les bras ne peut convenir à l’image que le personnage s’est créée, a utilisée et n’a cessé d’épaissir, tout au long de son extraordinaire carrière politique. Sans craindre les plus criants paradoxes.

Le mythe de la famille

Chez les Vergès, famille et engagement se doivent d’être intimement liés, comme s’il s’agissait de rendre hommage, continûment, au père de Paul Vergès, Raymond. Celui que Paul et son frère jumeau Jacques appellent “le Vieux” reste le guide spirituel d’une vie. La sienne fut déjà romanesque (voir chronologie par ailleurs) et marquée par un militantisme en direction des déshérités de la Réunion tout autant que sur la scène politique. Alors député, Raymond Vergès est considéré comme l’un des “pères” de la loi de départementalisation du 19 mars 1946, aux côtés de Léon de Lépervanche ou Aimé Césaire. Raymond Vergès fut également le fondateur de Témoignages, dont Paul Vergès prendra la direction, gardant, encore aujourd’hui, la profession officielle de journaliste. Pour Paul Vergès et son frère Jacques, célèbre avocat, Raymond Vergès est surtout celui qui a transmis le sens de la résistance. “Mon père nous avait appris, devant des situations inattendues ou confuses, à ne jamais dire oui mais toujours dire non”, déclare Paul Vergès dans “D’une île au monde”, livre d’entretiens avec Brigitte Croisier, publié en 1993 (L’Harmattan). Chez les Vergès, le combat ne peut donc s’envisager qu’en famille, comme le montre la présence constante, pendant un demi-siècle de meetings, de Laurence, aux côtés de son mari Paul. Ils se sont rencontrés au Parti communiste français, où cette originaire de région parisienne était permanente. On la verra, sur des photos noir et blanc, portant le micro pour faire entendre son mari. On l’a vue encore, dimanche dernier, voter en sa compagnie, juste devant leur fils Pierre et son épouse Ghislaine. Le mythe de la famille, chez les Vergès, s’est même malheureusement nourri d’un drame : la mort d’un fils, Laurent, après un accident sur la route du littoral. Laurent, le fils prodige, plus jeune député de France en 1988, beau, brillant, porteur d’espoirs. Pour les Vergès, pour tout le PCR et pour une partie de la Réunion, c’est un choc. Paul Vergès reportera ses espoirs sur son autre fils, Pierre, pour transmettre le message de Raymond, les deux filles ayant choisi des voies éloignées de la politique : l’engagement dans la cause médicale et humanitaire pour Claude au Panama, et dans la culture et la recherche pour Françoise. Le mythe de la famille, Paul Vergès l’aura “travaillé” jusqu’à l’excès, devenant la cible logique de ses opposants. Lorsqu’il quitte la mairie du Port, c’est son fils, Pierre, qui prendra sa succession. Ce même Pierre qui occupera une vice-présidence à la Région sous la présidence de son père. Comme si Pierre était programmé pour prendre la succession de son père, comme Paul l’avait fait après Raymond. Parallèlement, Françoise est nommée à la tête de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, projet présenté dans un manifeste remontant à 1989. Pour Paul Vergès, la famille peut même se vivre au sens large : lorsqu’il démissionne de son mandat de sénateur, en 2005, c’est pour le confier à Gélita Hoarau, l’épouse d’Elie Hoarau, sans doute son plus fidèle compagnon de route. Et la famille, enfin, est au coeur de l’argumentation politique de Paul Vergès. Dans “D’une île au monde”, il décrit la société réunionnaise comme n’étant “pas encore adulte, c’est une évidence” et cite Goethe : “On devient adulte quand on pardonne à ses parents”. Exprimant ainsi l’idée que la Réunion aura “grandi” lorsqu’elle aura réussi à pardonner les responsables des dérives historiques passées. Lui-même se posant, plus ou moins, en petit père de ce peuple en puberté.

Le mythe du “marron”

“Le mot rebelle est sans doute l’un des plus beaux de la langue française”, déclame Paul Vergès dans “D’une île au monde”. “Dans les sociétés animales, la contestation n’existe pas ou plutôt ne s’organise jamais. Seul l’être humain a le pouvoir de contester, de mettre en cause l’ordre personnel ou l’ordre social, ce qui peut revenir au même. C’est cela qui fait sa différence, lui donne son espace de liberté et fonde sa responsabilité”. Pour Paul Vergès, résister, c’est donc vivre. Un mythe qu’il entretiendra tout au long de sa carrière. A commencer par sa cavale de 1964 (voir par ailleurs), qui le posera comme un rebelle “à la réunionnaise”, c’est-à-dire dans la lignée des esclaves marrons pourchassés par les “chasseurs de noirs”. Sans cavale (ou “clandestinité”, selon le terme qu’aime utiliser le PCR), est-on même un vrai homme politique réunionnais ? C’est le message que transmettent indirectement les Vergès lorsqu’ils orchestrent la fuite du président du conseil général Eric Boyer, au début des années 90 (à l’époque poursuivi par la justice et défendu par Jacques Vergès). Ou encore lorsque Pierre Vergès, pendant plus de 1 300 jours entre 1993 et 1996, restera introuvable des forces de l’ordre. Mais la résistance n’est évidemment pas qu’une simple posture, pour Paul Vergès, qui mettra sa vie en jeu en s’engageant dans les Forces française libres pendant la deuxième guerre mondiale. Elle est même un axe central de la pensée Vergès : “La revendication de la responsabilité passe obligatoirement par la lutte contre la société”, dit-il. Ce qui n’empêche pas de scénariser la rébellion, pour lui donner davantage de force symbolique. C’est ainsi Paul Vergès qui, en 1959, démontre au Parti communiste français que la section réunionnaise, si elle reste dans le modèle national, ne peut être efficace dans le contexte local, ce qui entraînera la création du PCR. Dans ce cas, la rébellion s’est faite dans la paix, avec l’accord même des instances du PCF. La rébellion est aussi valable dans le champ parlementaire : c’est au nom de la lutte contre le projet chiraquien de “parité sociale” que Paul Vergès et Elie Hoarau démissionnent de l’Assemblée nationale en 1987. Et Laurent Vergès aura synthétisé en une phrase l’essentiel du combat de son père : “Nou lé pas plus, nous lé pas moin, respect à nous”.

Le mythe du pacificateur

“Le Réunionnais est à lui seul une guerre civile”, aime à dire Paul Vergès. Un état des lieux dû à la coexistence de “deux mondes”, le premier étant celui du travail et le second “les exclus du système productif”. Deux mondes qui s’opposent aussi parce que l’un transmet les “valeurs importées” tandis que l’autre a du mal à sortir des “valeurs héritées de trois siècles d’isolement géographique”. “Lorsque le Réunionnais intériorise ces valeurs qu’on importe et qu’on lui impose, il en éprouve des déchirements, un éclatement de sa personnalité. Cela explique cette extrême susceptibilité du Réunionnais, un écorché vif qui se sent toujours agressé, victime”. D’où la posture complexe de Paul Vergès : se poser en résistant sans pour autant pousser au bout la logique de rébellion, par crainte d’une violence que personne - pas même lui - ne saurait contrôler. Paul Vergès tente ainsi, tout au long de sa carrière politique, le grand écart entre chef d’un parti marxiste (mais qui sait prendre ses distances avec le marxisme) et “rassembleur” du peuple. Compliqué, quasi-impossible, surtout lorsque, dans les années 60, la droite envoie Michel Debré ferrailler en terre réunionnaise. C’est le paradoxe absolu du personnage Vergès : porter une parole révolutionnaire sans jamais vouloir la révolution. Ainsi le PCR abandonne-t-il le mot d’ordre d’autonomie en 1981, au moment de l’élection de François Mitterrand. “Je suis persuadé que parmi les raisons qui ont fait combattre notre revendication d’Autonomie, il y avait au fond la peur ou le refus de telles responsabilités devant les Réunionnais et devant Paris. Il est tellement plus rassurant et moins risqué de réclamer plus de crédits mais pas plus de responsabilités”, dira Paul Vergès dix ans plus tard. Plus rassurant et moins risqué, aussi, de s’intégrer dans le système de pouvoir plutôt que de se dresser frontalement contre lui. On verra ainsi Paul Vergès tendre la main (ou accepter les mains tendues) à des forces politiques qui n’ont pas toujours partagé son idéologie, loin de là. Au nom de la “paix sociale et démocratique”, il permettra au centriste Pierre Lagourgue de présider le conseil régional. Quelques années plus tard, il voudra endosser l’habit du pacificateur en “politisant” (et donc “apaisant”) un Camille Sudre après les événements du Chaudron. Le Rassemblement, fabriqué pour les régionales de 1998, puis l’Alliance qui lui succèdent en 2004, constituent la représentation ultime de ce mythe du pacificateur. Car Paul Vergès a toujours estimé que le PCR devait être une “plateforme” autour duquel s’agrègeraient “des gens qui appuient un projet développement”. Problème : l’étiquette communiste est bien lourde à porter et, à l’image des régionales de 1998 (où le Rassemblement a eu du mal à obtenir la majorité) et de 2010, la pacification idéologique via l’ouverture tous azimuts a tendance à dérouter l’électeur. Et à faire perdre à Paul Vergès, au final, l’image du rebelle.

Le mythe du sauveur

S’il avait pu faire autrement, il l’aurait fait. Paul Vergès aime à faire prospérer cette idée, selon laquelle ce n’est pas lui mais les événements qui décident à sa place. Qu’il se voit contraint, encore et encore, de mener des batailles politiques pour se poser en sauveur face à des menaces supposées. Il en fut ainsi de sa candidature aux dernières régionales, Paul Vergès expliquant qu’il ne pouvait laisser ainsi “défaire” ce qu’il avait passé douze ans à construire. Le discours était du même acabit lors des Européennes de 2004, Paul Vergès expliquant que des “amis” de tout l’outre-mer l’avaient conjuré de partir à la bataille, pour sauver l’ensemble de la gauche, après une union impossible avec le Parti socialiste. Le sauveur est un thème récurrent dans la rhétorique de Paul Vergès. D’abord parce qu’il ne saurait se défausser : “Si mon équation personnelle doit permettre de mener telle ou telle bataille, je ne me soustrairai jamais à une telle demande”, déclare-t-il dans une interview accordée au journal Le Réunionnais, en 1995, à l’occasion de ses 70 ans. Ensuite parce que le concret finit toujours par s’imposer à l’idée. Ainsi, dans cette même interview, il explique qu’en tant que maire du Port, il avait “l’ambition de ne faire qu’un mandat” mais qu’il fut “obligé d’en faire trois”, faute de relève. “La pire des fautes pour un homme politique à la Réunion, c’est de cumuler les mandats”, ajoute-t-il. Mais aussi “dès le moment où les hommes politiques ont une responsabilité, ils doivent tout de suite penser à la manière de la transmettre”. Mais la transmettre à qui ? A un autre sauveur ? C’est justement le problème numéro 1 du parti fondé par Paul Vergès.

Dossier : David Chassagne

- A travers les mots

Dieu. “Je n’arrive pas à imaginer Dieu. (...) Mais mon athéisme ne me ferme pas à toute les interrogations humaines sur l’origine et la fin des choses. Croire ou ne pas croire en Dieu ne peut être un motif de fierté et encore moins un prétexte d’intolérance”.

De Gaulle. “Il faut voir qui est De Gaulle : un homme du XIXème siècle, un maurrassien, un nationaliste, un militaire. En pleine guerre, cet homme-là, ce général, se rebelle, alors que le “devoir” lui commandait d’obéir, alors que la majorité de l’armée française s’est pliée. De Gaulle, lui, prend un petit avion et fait ce que les hommes politiques à l’époque n’ont pas osé faire, il part en Angleterre et appelle à la désobéissance (...). Il a eu un mérite extraordinaire (...). Moi je n’avais rien à voir avec la rébellion contre l’Etat ! Mon départ était l’aboutissement logique de toute la préparation politique, psychologique faite par mon père”.

Les deux mondes. “A la Réunion, toute l’activité politique, économique et sociale se déroule dans le premier monde, tandis que l’autre monde est “largué” et qu’on essaie de la calmer par des méthodes qui excluent toute solution d’avenir. A l’aide humanitaire au tiers-monde correspondent ici les diverses mesures telles que le RMI et les CES. On ne règle pas le problème de fond”.

Archaïsme. “Ici, la classe politique, à droite comme à gauche, n’est pas encore prête à sortir de la vieille Réunion pour aborder la Réunion nouvelle”.

Socialisme. “On ne peut rêver de faire de la Réunion un îlot de socialisme. Nous sommes intégrés à notre environnement, à l’Europe, au système capitaliste”.

Erotisme. “On ne peut pas séparer socialisme et érotisme”.

publié par le JIR - journal de l’ile de la Reunion -

http://www.jir.fr/Actualites/Societe/paul-verges-histoire-d-un-mythe.html

cloclo  pour vous faire mieux comprendre l'homme et le peuple de la Réunion.

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Commentaires
C
« Le Parti Communiste Réunionnais se félicite de l’inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO des pitons, cirques, et remparts de La Réunion, comme l’ont été 900 autres sites.<br /> <br /> Cette reconnaissance de la valeur de La Réunion dans sa dimension physique intervient après celle qui lui été reconnue sur le plan culturel l’an dernier avec l’inscription du Maloya au Patrimoine immatérielle de le l’humanité : ainsi, après une création humaine, c’est l’œuvre unique de la nature qui est maintenant reconnue.<br /> <br /> Cette distinction est aussi le résultat de tous ceux, acteurs publics, société civile, associations, citoyens, qui ont soutenu ou contribué à l’élaboration du dossier de candidature de La Réunion. Nous nous réjouissons que l’unanimité des Réunionnais se félicite aujourd’hui de ce classement et que les critiques exprimées à l’époque, lors de la création du Parc National de La Réunion, aient pu être surmontées autour d’un objectif partagé par tous.<br /> <br /> Cette reconnaissance est une fierté pour les Réunionnais, mais elle nous dicte aussi le devoir de préserver tout ce qui n’a pas été détruit ou abîmé par l’Homme. Au cours d’un peu plus de trois siècles d’occupation humaine, notre l’île a vu disparaître nombre d’espèces endémiques, végétales ou animales. L’introduction de pestes végétales telles les goyaviers, les troènes, les raisins marrons, les longoses, etc, ont porté atteinte à l’intégrité de l’environnement ; sur un autre plan, des cours d’eau, des étangs ont été asséchés, et le littoral balnéaire a été privatisé, générant des dégâts à plusieurs niveaux : mise en péril du récif corallien, extinction d’espèces tels que les bichiques, loches, camarons, crevettes, chevaquines, etc.<br /> Comment ne pas s’interroger sur ce qu’il serait advenu de l’actuel équilibre, même fragile, de notre espace insulaire, montagneux et tropical si l’occupation humaine avait été plus longue que ces 3 siècles ?<br /> <br /> Si la distinction de l’UNESCO qui valorise nos sites volcaniques et montagneux ouvre également de nouvelles perspectives pour un tourisme s’inscrivant dans le cadre du développement durable, nous avons, plus que jamais, le devoir impérieux de préserver notre environnement. Dans cet esprit, il est essentiel que les acteurs locaux soient encore davantage associés aux travaux du Parc national. La sauvegarde de notre environnement constitue tout autant l’un des défis qui nous est posé par la politique d’adaptation au changement climatique. »<br /> In : temoignages , organe du PCR .<br /> <br /> le retour de ma petite fille vers son ile , me tient un peu eloigné du clavier , depart ce soir à 23 heures .[Non][Non][Non]
F
En raison de l'absence (???) de l'éminent spécialiste de l'île de la Réunion, notre Comte de Toulouse, je vous livre ces belles photos publiées à l'occasion de l'inscription du par national de la Réunion au patrimoine mondial de l'humanité :<br /> <br /> http://www.leparisien.fr/diaporama-photos/index.php?id=1019847&chaine=par:www:diaporama&pub=16806&rub=par:www:une
C
...Cher Commandant en chef de l'Armée des Pigeons Bleus NdCH, as-tu fini de repeindre tes volets ? Et la bestiole qui a voulu se suicider contre ta bagnole, elle a pu être sauvée ?[mdr]...
N
... avec un dîner chez Fauchon ou une séance de ski nautique avec le yacht de Bolloré !<br /> <br /> Signé Jérôme Talbin
R
Il est bien évident qu'un tel "tirage au sort" et bien sur le "lot" qui va avec ne pouvait revenir qu'à une personne friquée pour la seule et unique raison que les réunionnais dans leur ensemble ne sont pas des "consommateurs" de kilomètres aériens, surtout lorsque l'on sait que c'est un des endroits ou le revenu par habitant est un des plus faible de la République, chômage, RMI, ou RSA, sont souvent le lot quotidien, le scandale c'est que ce genre de manifestation puisse avoir lieu...et c'est juste d'écrire:[I][G]"Celle de la République des copains ; avides de petits et gros avantages, de soirées entre gens bien réservées au premier monde. Difficile ensuite de se défaire des pires clichés de la justice cocotier nostalgique du temps béni des colonies"[/[/G]I]<br /> <br /> Roger[Héééhooo]
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