À L’ECOLE QUAND UNE ENSEIGNANTE PERD LE DROIT D’ÊTRE UN ÊTRE HUMAIN…
Cette enseignante qui s’est immolée dans la cour de son lycée n’était probablement plus en état d’enseigner mais en pensant au calvaire qui l’a conduite à ce geste spectaculaire, j’ai n’ai cessé d’avoir en mémoire le livre de Musil aux relents de nazisme: le désarroi de l’élève Törless.
J’imaginais cet être faible, l’enseignant, jetée en pâture à une troupe d’adolescents livrés à leurs seuls instincts et rêvant de pouvoir exercer leur sadisme sur un individu totalement dénué de défense. Il y a la bête collective, les instincts démultipliés par la proximité et le partage de l’ignominie… Avoir raison tous ensemble comme ceux qui jadis assistaient aux jeux du cirque, frémissaient devant des chairs palpitantes. Et enfin comble de bonheur offrir ces purs instants de sadisme partagé à la fièvre médiatique d’une nation qui ne veut pas contempler le spectacle d’elle-même qu’elle offre au monde.
On a créé pour eux un soutien psychologique, quelle hypocrisie… Ces adolescents gorgés du sadisme ordinaire des jeux vidéos, confrontés à une société dont les valeurs ultimes son le narcissisme ont du prendre un pied pas possible à voir leur malheureuse enseignante transformée en torche vivante…
Nous en sommes bien à ce que décrit Robert Musil dans les désarrois de l’élève Törless, un sombre apprentissage.
Robert Musil montre le sombre rituel de la mise sous tutelle du malheureux Basini par ses camarades de l’école de W. où Törless est interne. Simple voleur en mal d’argent au départ, mais de caractère faible, Basini va être la victime d’un mécanisme aux relents de nazisme avant la lettre :
« Il ne mérite aucune pitié, que nous le dénoncions, que nous l’assommions, ou même que nous le torturions à mort par pur plaisir. Je ne puis concevoir qu’un type de ce genre ait le moindre rôle à jouer dans le merveilleux mécanisme de l’univers. »
En étant le pédéraste qui abandonne son corps progressivement à tous, Basini a perdu le droit d’être un homme. On déshabille Basini, on le fouette jusqu’au sang, et Törless sent monter en lui aussi un désir bestial.
Du Je suis un voleur, Basini doit accepter de passer au pacte définitif :
« Je suis une bête sournoise, votre bête sournoise et vile. »
La suite est logique, Törless suit désormais toutes les leçons de ses professeurs en se disant :
« Si tout cela doit vraiment nous préparer à la vie, comme ils disent, il doit bien s’y trouver aussi quelque reflet de ce que je poursuis. »
Le « pied » pris par Törless quand Basini se livre à lui comme victime consentante. Basini devient donc, victime et complice, l’esclave sexuel, l’objet qu’on tourmente. Mais il y a dans ce garçon une sombre inclination à son sort. Cela, Törless, pris au piège de sa propre sensualité, ne le comprend pas d’abord, ne le comprend enfin que quand Basini se glisse dans son lit :
« La sensualité qui s’était lentement insinuée en lui à chaque accès de désespoir avait pris maintenant toute sa force. Elle était couchée nue à côté de lui et lui couvrait la tête de son souple manteau noir. Elle lui soufflait à l’oreille de tendres conseils de résignation, elle écartait de ses doigts brûlants, comme inutiles, toutes questions et tous devoirs. Elle murmurait : dans la solitude, tout est permis. »
Avec Basini, Törless assouvit la secrète et mélancolique sensualité sans objet de l’adolescent.
Plus tard, il sera « au nombre de ces natures d’intellectuels ou d’esthètes qui trouvent un certain apaisement à observer les lois et même, partiellement, la morale officielle, un certain degré d’immoralité au lycée passant même pour une preuve de virilité et de courage… »
Par Danielle BLEITRACH.
NB : J’ai vu ce film, « les désarrois de l’élève Törless » lorsque j’étais jeune normalien, en terminale philo, et c’est vrai que la référence est ici particulièrement pertinente…
Un grand merci à Danielle pour cette analyse qui rend bien compte d’un phénomène de groupe contre un individu faible ou affaibli, dont il ne faut jamais oublier qu’il est un être humain. Cette analyse me paraît d’autant plus nécessaire que j’ai entendu dans mon entourage, à propos des deux profs qui ont défrayé la chronique cette semaine (à Béziers et à Bourges), des choses que je ne peux décidément pas partager et qui sont pour moi des fausses pistes absolues. J’ai entendu dire que l’auto-immolation par le feu de cette prof est un sommet de la barbarie à l’égard de ses élèves. C’est totalement irrecevable, car c’est la victime qui est niée en tant que telle, et on voit là à l’œuvre un phénomène qui transforme en agresseur quelqu’un qui est victime de tout un faisceau d’éléments dont nombre accusent le système lui-même (l’institution « éducation nationale » d’aujourd’hui, mais aussi cette société toute entière qui refuse de s’attaquer aux inégalités). C’est enfin totalement irrecevable aussi parce que les grands élèves au lycée sont parfaitement capables d’assumer leur « libre arbitre » et leur responsabilité, et il faut cesser de les voir seulement comme des êtres en construction… On est toute sa vie en construction !
J’ai également entendu à propos de ce prof qui a usé de son attirail de samouraï contre des êtres humains (qui étaient policiers au service de la République) que c’était un cinglé et que décidément çà faisait beaucoup d’actes détonants pour le service public d’éducation en une semaine…
Il faut cesser de rester à la surface des choses pour aller plus loin et réfléchir aux conditions dans lesquelles fonctionne un service public comme celui-là. J’ai été prof et je n’ai jamais rencontré une médecine du travail dans ce service qu’au tout début de ma carrière très évolutive, quand j’étais élève-instituteur à l’école normale. Pendant près de 40 ans, plus rien… et pourtant la vie ne s’est pas gênée pour infliger ses coups divers et variés… C’est inadmissible, car cela n’est pas toléré dans le « Monde du Travail », partout ailleurs, alors que le métier de prof est un métier éminemment difficile en tant que métier de relation et de communication. Par ailleurs, les conditions de recrutement et de formation se sont considérablement dégradées sous la férule des maîtres de la libéralisation à outrance des services publics alliés au MEDEF… Je pense que les syndicats d’enseignants sont en partie responsables de cet état dans lequel est aujourd’hui le système éducatif et ses personnels. Avoir accepté structurellement que ce monde syndical enseignant se pense comme vivant sur une autre planète et comme un monde pouvant éviter la prolétarisation en se maintenant hors du « Monde du Travail » et pour tout dire, du « Monde ouvrier », a conduit à nous isoler et à nous laisser battre comme les Curiace face aux Horace.
La solidarité partout et pour tout, il n’y a que cela qui peut construire une société acceptable pour l’être humain. Il faut urgemment construire l'unité syndicale !
NOSE DE CHAMPAGNE.