Le « modèle allemand » est la nouvelle coqueluche.
Le « modèle allemand » est la nouvelle coqueluche.
Nicolas Sarkozy s'enthousiasme : « Tout mon travail, c'est de rapprocher la
France d'un système qui marche, celui de l'Allemagne. » Une fascination partagée
par l'entourage de François Hollande.
Test : les investisseurs font-ils
davantage confiance à l'Allemagne qu'à la France ? Non. La France est largement
devant l'Allemagne pour les investissements directs étrangers : plus de 1
milliard de dollars en France contre 674 millions en Allemagne, selon les
statistiques publiées par la Cnuced.
Les Allemands sont-ils meilleurs que nous
en matière de dette ? Non. En 2010, l'Allemagne avait une dette de 83,2 % du
PIB contre 81,7 % pour la France, selon Eurostat. L'Allemagne est donc tout
autant que la France en dehors de la limite des 60 % du PIB exigée par le
Pacte de stabilité.
La croissance allemande est-elle meilleure que chez nous ?
Non plus. Sur la dernière décennie, elle a été inférieure à celle de la zone
euro et moindre qu'en France. D'ailleurs, le « modèle allemand » n'a pas
protégé ce pays de la crise : avec une chute de 4,9 % du PIB, il a subi en 2009
une récession deux fois plus importante qu'en France. L'embellie en 2010 est
donc un rattrapage. Au final, par rapport à 2008, l'Allemagne marque encore un
retard de croissance plus grand qu'en France.
Le taux de chômage en Allemagne est-il vraiment
plus faible que chez nous ? Non. Officiellement de 6 % contre 9,9 % en France,
il a été facialement dégonflé grâce à la réforme sociale-démocrate. Elle a rayé
des comptes 1,5 million de sans-emploi. Cela correspond exactement à la baisse
du chômage affichée depuis 2002. En septembre dernier, le journal « Die Welt »
a aussi révélé que 200.000 chômeurs âgés avaient été radiés. Le ministère
allemand du Travail a reconnu que 57 % des seniors chômeurs n'étaient plus
comptés. Autre artifice : la généralisation du chômage partiel, invisible dans
les statistiques. Ainsi, en 2010, selon Eurostat, il concernait 26,2 % des
salariés allemands contre 17,8 % des salariés français.
La croissance allemande basée sur les exportations est-elle un modèle
généralisable ? Non. 65 % des exportations allemandes sont destinées à la
demande des autres pays européens. Si ces derniers imitaient le « modèle
allemand » en contractant leurs achats, l'export made by Germany s'écroulerait.
De plus, ces exportations ne révèlent pas une plus grande performance
technique. Selon Eurostat, 16 % de celles-ci concernent des produits de haute
technologie. En France, c'est 26 % des exportations. L'OCDE note que les
Français travaillent 154 heures de plus par an que les Allemands. Et la
productivité des travailleurs français est la plus élevée d'Europe. Elle a
progressé sur la dernière décennie deux fois plus vite qu'en Allemagne.
Peut-on importer le « modèle allemand » ? Non. La démographie allemande est
trop différente de la France. Le taux de fécondité allemand est moitié moindre
qu'en France. Depuis trente ans, il y a donc davantage de décès que de
naissances outre-Rhin. Le pays est donc poussé à privilégier une économie de
rente. La France a un besoin vital d'activité. D'ici à 2060, la population
allemande devrait passer de 82 à 65 millions d'habitants. Celle de la France
devrait passer dès 2050 à 73 millions d'habitants.
On ne peut donc pas transposer le « modèle allemand » en France. D'ailleurs,
est-ce souhaitable ? Les Français veulent-ils vraiment aller plus loin dans la
contraction des salaires et la précarité de l'emploi ? Car c'est là l'unique
secret qui distingue l'Allemagne des autres pays depuis dix ans. Ce bilan d'une
décennie d'application des lois sociales-démocrates sur l'emploi est un
désastre social. 20 % des salariés sont des travailleurs pauvres. 5 millions de
travailleurs doivent se contenter de mini-jobs à 400 euros par mois, sans
protection sociale. Faute de SMIC, 2 millions de salariés gagnent moins de 6
euros par heure, alors qu'aucun salarié ne peut gagner moins de 7,06 euros net
de l'heure en France. En dix ans, l'intérim a augmenté de 130 % et les CDD de
22 %. Résultat de cette politique de compression salariale : selon l'OCDE,
c'est une baisse record de la part du travail dans le PIB allemand : de 76 % à
67 % en sept ans. Neuf points de PIB pris aux travailleurs. Et un taux de
pauvreté de 20 % plus élevé en Allemagne qu'en France.
Pour moi, chez nous, la priorité est au contraire de rallumer le moteur de
l'activité en rendant aux salariés les 10 points de la richesse produite qu'ils
ont perdus au profit du capital depuis trente ans. Le « modèle allemand » est
un leurre. Etendu à l'ensemble de l'Union européenne, il mènerait tout droit à
la récession. L'intérêt général nous appelle à en finir avec cette fascination
morbide pour l'Allemagne. Il faut soutenir le coeur vivant et productif de
notre économie.
Jean Luc Melenchon
a diffuser largement
cloclo