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LE PIGEON BLEU
27 décembre 2011

Création de la CELAC : un moment historique pour l’Amérique Latine

 

CELAC

 

La création de la Communauté des États Latino-Américains et Caribéens, la CELAC, regroupant 33 pays, lors du sommet qui s’est tenu les 2 et 3 décembre dernier à Caracas représente une date historique à plus d’un titre.

 

D’abord sur le plan historique puisqu’elle constitue en quelque sorte l’aboutissement d’une longue recherche débutée en 1826 par le Congrès de Panama où nombre de pays d’Amérique Centrale et du Sud ayant récemment conquis leur indépendance se retrouvent et signent le “Traité de l’Union, de la Ligue et de la Confédération Perpétuelle" qui prévoyait notamment la création d’une confédération de pays, réunissant une ligue de républiques, dotée d’une Assemblée Parlementaire Supranationale, d’un pacte commun de défense et d’accords d’intégration commerciale également.

 

Ce Congrès avait aussi permis de dévoiler la réalité impérialiste que recouvrait le discours ambigu de ce qui deviendra plus tard la doctrine Monroe, où malgré les grands principes énoncés sur le refus de toute intervention européenne contre les nouvelles nations américaines, les USA opposèrent une fin de non-recevoir aux demandes d’alliance et de coopération exprimées par Simon Bolivar. Au début du XXe siècle, le corollaire Roosevelt achèvera de confirmer que les USA entendaient par ce biais signifier aux anciennes puissances coloniales qu’ils considéraient désormais le continent latino-américain comme leur chasse gardée, comme le montrera la crise de Panama en 1903.

 

Il importe également de préciser que la voie choisie était celle d’une confédération d’états souverains qui préservait la souveraineté de chaque état membre au contraire d’une Fédération.

 

Ces origines historiques ont d’ailleurs fait dire au grand penseur brésilien Darcy Ribeiro que l’Amérique Latine, dans le processus de structuration de son identité, s’appuyait sur une caractéristique et un antagonisme commun. La caractéristique commune étant, pour les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, la matrice ibérique, fruit de l’expansion coloniale du Portugal et de l’Espagne, qui les amenait à se reconnaître comme pays et peuples frères, fils d’un processus commun d’émancipation. L’antagonisme en commun est celui qui, dès sa genèse, va confronter cette communauté aux visées hégémoniques de l’impérialisme états-unien. Voilà les deux raisons qui expliquent, selon lui, la nature immanente de la lutte anti-impérialiste dans l’ensemble latino-américain.

 

Tout cela pour rappeler que cette volonté de rapprochement affranchie de la tutelle des USA, qui ne font pas partie de ce nouvel ensemble qui va du Mexique à la pointe sud du continent, a des racines historiques anciennes et aussi un contenu politique différent d’autres phénomènes de ce type.

 

Ensuite parce qu’elle illustre aussi d’une certaine forme, l’aboutissement des nombreux processus d’intégration régionale qui ont émergé en Amérique Latine. La proposition de création de cette Communauté d’États Latino-Américains et Caribéens est née lors des sommets tenus en décembre 2008, à Bahia au Brésil puis en février 2010 à Cancun au Mexique. Comme l’avait à l’époque rappelé l’actuel Ministre Brésilien de la Défense, Celso Amorim, pour en souligner la dimension historique, pour la première fois l’Amérique Latine et les Caraïbes se réunissaient de leur propre initiative, sans la présence ni des USA, du Canada ou de quelque pays européen, marquant de la sorte une rupture avec la politique de “pan-américanisme" jusque-là développée sous l’égide des USA.

 

Dans ce long cheminement, il convient de distinguer les expériences qui ont été dictées par la volonté hégémonique de l’impérialisme états-unien de celles qui participaient d’une volonté d’indépendance affranchie de cette encombrante tutelle. Toutes les premières tentatives relèvent de la première démarche. Notamment la première Conférence Pan-Américaine de 1890, puis, après la fin du deuxième conflit mondial, la signature en 1947 du Traité Interaméricain d’Assistance Réciproque, le TIAR, déjà fondé sur la “doctrine de défense hémisphérique” et s’inscrivant dans un contexte de guerre froide. L'Organisation des États Américains, l’OEA est créée en 1948. Puis dans les années 1960, l’Alianza para el Progresso et l’USAID, pour contrer la « contamination » communiste, surtout depuis la Révolution Cubaine, suivies de l’Association Latino-Américaine de Libre Échange, l’Alalc, puis de la Banque Interaméricaine de Développement, la BID.


Durant cette période, les initiatives d’intégration de sous-régions comme le Pacte Andin et la Communauté Andine des Nations, la CAN, le Marché Commun Centre-Américain (MCCA) et le Système d’Intégration Centre-Américain (SICA), l’actuelle Communauté des Caraïbes, la Caricom, ainsi que le Marché Commun du Sud, le Mercosul, étaient conditionnés par la préservation des intérêts impérialistes des USA, sous couvert de “pan-américanisme”.


L'Alalc se transformera en 1980 pour devenir l’Association Latino-Américaine d’Intégration, l’Aladi, mais n’empêchera pas la réduction continue des échanges entre les pays d’Amérique Latine, l’augmentation des importations de produits finis et l’exportation massive de matières premières avec l’explosion de la dette externe. La fin des dictatures militaires en Argentine et au Brésil amènera une timide revitalisation du Mercosul à la fin des années 80, avec également la signature du Traité d’Asunción en 1991 associant le Paraguay et l’Uruguay. Mais les gouvernements néo-libéraux soumis aux intérêts US de Collor de Mello au Brésil et de Menem en Argentine, associés à d’autres, vont en faire un  instrument de dérégulation accrue des échanges, de privatisations en masse et d’ouverture des marchés soumettant les économies locales aux intérêts stratégiques des USA.


En 1994 George Bush père lance l’“Iniciativa para las Américas”, proposition de mise en place d’une zone de “libre échange” couvrant tout le continent, qui sera plus tard baptisée ALCA, en anglais : FTAA. L’ex-Secrétaire d’État des USA à l’époque, Colin Powell, avait, dans un aveu cru, dévoilé l’objectif de ce traité : "Notre objectif avec l’ALCA est de garantir à nos entreprises le contrôle d’un territoire qui va de l’Arctique à l’Antarctique et le libre accès, sans la moindre barrière ou difficulté, pour tous nos produits, services, technologies et capital dans tout l’hémisphère". Voilà qui était on ne peut plus clair.

C’est la victoire de gouvernements progressistes en Amérique Latine, démarrée en 1998 au Venezuela avec Hugo Chávez, qui mettra en échec cette stratégie impérialiste. Il est à souligner que la bataille contre l’ALCA aura été structurante dans les nombreuses luttes qui se sont développées en Amérique Latine et ont permis de déboucher sur cette série de victoires pour la gauche et aura permis également l’accélération d’un processus d’intégration basée sur une autre logique d’échanges et de développement, plus solidaire et moins inégalitaire, avec notamment la création en 2005 de l’ALBA - TCP (« Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América - Tratado de Comercio de los Pueblos » en espagnol) associant Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, Saint-Vincent et les Grenadines et l’Équateur, et celle de l’UNASUL ou UNASUR en 2008 qui comprend l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Chili, l’Équateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Surinam, l’Uruguay et le Venezuela. La composition de ces différents ensembles montre bien, qu’au delà des contradictions et divergences entre les pays qui les composent, une convergence accrue s’est fortifiée et a permis d’aboutir aujourd’hui au vieux rêve bolivarien d’une communauté latino-américaine unie sur des bases solidaires.

Ce sont aussi les succès économiques et sociaux obtenus dans ce cadre par les différents gouvernements progressistes qui ont permis de modifier le rapport de forces sur le continent et d’approfondir ces partenariats.

Dans son dernier rapport, la CEPALC ou Commission économique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes de l’ONU,  signalait que le Brésil, l’Argentine, la Bolivie et le Venezuela étaient les pays qui avaient les plus avancé dans la réduction de la pauvreté en Amérique Latine et que les indices de pauvreté en Amérique Latine étaient les plus bas depuis vingt ans. Et dans le cadre de l’UNASUR, le Conseil Sud-Américain de l’Économie et des Finances a décidé d’accélérer la mise en place de la Banque du Sud, la création d’un fonds de réserve propre, le remplacement du dollar par des monnaies locales dans les transactions économiques régionales et la recherche d’une meilleure coordination des différentes politiques économiques.

 

S’il est clair que la création de la CELAC ne viendra pas par elle seule à bout de toutes les contradictions existantes dans cet ensemble, elle constitue néanmoins un événement d’une portée historique pour tous les peuples concernés et un outil essentiel pour démontrer que d’autres logiques de coopération et de développement que celles qu’essaie d’imposer l’impérialisme avec ses bras armés que sont le FMI et la Banque Mondiale entre autres, à grand coups de privatisations et de coupes sévères dans les budgets sociaux, sont possibles et peuvent être synonymes de succès. Car les chiffres concernant l’évolution de la pauvreté en Amérique Latine et la réduction des inégalités ainsi que les taux de croissance montrent bien que la justice sociale n’est pas antinomique de l’efficacité économique, mais qu’elle en est même une des conditions.

 

Les peuples des pays de l’Union Européenne soumis, sous prétexte de crise, aux mêmes potions amères qui ont conduit à un désastre social et économique en Amérique Latine peuvent en tirer quelques enseignements pour s’opposer à ces politiques destructrices qu’incarnent aujourd’hui la BCE et le FMI avec l’aval des gouvernements en place. Seule une rupture claire avec ces recettes mortifères peut ouvrir une perspective d’avenir et redonner du champ à l’espoir.

 

Pedro DA NOBREGA

27/12/2011

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