A LIRE....
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La chronique de Cynthia Fleury
La camorrisation de l’économie mondiale
Gomorra. Dans l’empire de la Camorra,
de Roberto Saviano. Gallimard, 2007.
On se souvient du discours de Nicolas Sarkozy à l’université d’été du MEDEF sur la dépénalisation du droit des affaires : « La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme », avait-il déclaré. Et les cheveux de se hérisser, alors que le chef de l’État plaçait délibérément la réglementation et la jurisprudence du côté des accusés. Et de se hérisser encore davantage à la lecture du projet de loi contre la corruption, ultra consensuel, voté au Parlement la semaine dernière. « Vous voulez lutter contre la corruption avec des procureurs aux bras coupés, aux langues silencieuses et aux jambes qui disparaissent. Vous voulez des procureurs, inertes, à vos ordres », a renchéri le député Arnaud Montebourg, celui-là même qui dénonçait dès les années 2000 la machine à trahir qu’était devenue la République, avec son « Assemblée nationale impuissante », sa « justice arbitraire », ses « élus locaux omnipotents et cumulards », ses « gouvernements autistes ». Et de citer, alors, Victor Hugo, à l’oeil si imparable : « Les grandes choses de l’État sont tombées, les petites seules sont debout, triste spectacle public. On ne songe plus qu’à soi. Chacun se fait, sans pitié pour le pays, une petite fortune particulière dans un coin de la grande infortune publique. »
Le « coin » n’est finalement pas si petit que cela. Et la mondialisation, et l’hypercapitalisation démultiplient les coins. Roberto Saviano, jeune journaliste, n’a pas craint d’aller enquêter sur la place du monde. C’est à Naples que se situe son récit. Mais il pourrait avoir lieu n’importe où tant la vérité napolitaine est en train de devenir « globale ». Entre mafias, décharges, flux et réseaux, la peste est là, qui ne dit pas son nom : l’ultralibéralisme qui décime sans laisser de traces. Ou plutôt si, des traces le cycle de l’économie en laisse, et sur la terre, la traîne de la consommation étend sa toxicité. « Le Sud est le terminus des déchets toxiques et de tout ce qui est inutile. D’après Legambiente, si les déchets qui échappent aux contrôles publics étaient tous rassemblés, ils pèseraient quatorze millions de tonnes et formeraient une montagne haute de quatorze mille six cents mètres avec une base mesurant trois hectares, soit trois fois le mont Blanc, près de deux fois l’Everest. Cette montagne d’ordures qui ne figurent dans aucun registre officiel deviendrait alors le plus haut sommet de la planète. » Le coin est pourri, on vous l’avait dit.
Mais revenons à la corruption proprement dite, celle des clans et des castes, et celle de la Camorra. Chaque année entre cent et deux morts, parfois plus. Chaque année, la planisphère des conflits mondiaux laisse de côté l’Italie du Sud, ce « coeur de l’Europe » et de l’économie italienne : « Peu importe comment cette richesse est produite, écrit le journaliste, ce qu’il faut c’est que cette chair à canon reste engluée dans les banlieues, écrasée entre le béton et les ordures, dans les ateliers clandestins et les entrepôts de coke. Et que personne n’en parle, que tout ça ressemble à une guerre des gangs, une guerre de pauvres. » Camorriste ou raté, voilà le choix pour tous ceux qui vivent là. Et le partage du territoire et du pouvoir se fait dans le sang et… le ciment. Car les entreprises du bâtiment et des travaux publics sont pour le clan l’arme absolue : « Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, les clans de Casale gagnaient de l’argent à chaque étape : lorsqu’ils fournissaient le ciment, lorsque leurs entreprises intervenaient comme sous-traitants, lorsqu’ils touchaient des dessous-de-table sur les grosses transactions. Des dessous-de-table qui étaient en réalité le point de départ de tout, car leurs sociétés, performantes et offrant des services bon marché, ne faisaient rien si elles ne touchaient pas, aucune autre ne pouvant intervenir sans risques et à des prix aussi bas. »
Alors, c’est bien de cela dont il s’agit. Petit à petit, au gré de la lecture, l’ADN de l’économie ultralibérale se dévoile. Et les révolutions coperniciennes de se travestir : « Ce ne sont pas les camorristes qui choisissent les affaires, mais les affaires qui choisissent les camorristes. La logique de l’entreprenariat criminel et la vision des parrains sont empreintes d’un ultralibéralisme radical. Les règles sont dictées et imposées par les affaires, par l’obligation de faire du profit et de vaincre la concurrence. Le reste ne compte pas. Le reste n’existe pas. » Et le soleil tourne autour du marché
Posté par Roger