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LE PIGEON BLEU
21 janvier 2008

Un « immigrant choisi »... indésirable !

La Préfecture a tout fait, depuis juin, pour expulser de l’île un Franco-comorien qui a eu le tort de faire confiance à l’Administration française. Le Tribunal d’instance a prononcé hier son « assignation à résidence » à son domicile jusqu’à mardi, donnée comme la date de l’expulsion.



Pascale DAVID

EN sortant du tribunal hier soir après 19h15, Rachad Abdou Nourdine et sa compagne étaient assignés à résidence à leur domicile jusqu’au mardi 22 janvier, 11h, date donnée comme étant celle de l’expulsion de toute la famille, composée du couple et de leurs deux enfants.
Les difficultés de la famille de Rachad Abdou Nourdine remontent au mois de juin 2007, lorsque ce dernier a demandé à la Préfecture de La Réunion de lui délivrer un titre de séjour réunionnais, sur présentation de la carte de séjour, valable 10 ans, qu’il avait obtenue à Mayotte.
Rachad Abdou Nourdine est né Français, à Anjouan, d’un père Comorien - lui aussi Français à l’époque -, chirurgien anesthésiste dans son pays. Fils de parents cultivés, le jeune homme a eu la chance de faire des études supérieures en Afrique du Sud, a un niveau de formation Bac +5 et parle 3 langues. Il avait, comme son épouse, grande comorienne, une carte de séjour et un travail à Mayotte. Il a été embauché à Air Austral et chez DHL et a voulu à un moment que ses enfants - l’un né en Grande Comore, l’autre à Mayotte - reçoivent l’éducation européenne qu’il avait lui même reçue. Il a demandé et obtenu un visa pour La Réunion, où il s’est rendu dans un premier temps seul avec les enfants et où il a été embauché comme réceptionniste dans un hôtel.
Ayant un domicile - aux Camélias - et un travail, il a pensé pouvoir obtenir un titre de séjour à La Réunion.
La Préfecture a refusé, le 5 juin, disant qu’un titre de séjour Mahorais n’est « pas utile » à La Réunion et a fait pression sur l’employeur, des pressions assorties de menaces pour “emploi d’un clandestin”.
En août, Rachad Abdou Nourdine a déposé devant le Tribunal administratif (TA) une requête en annulation de la décision préfectorale.
La décision a été rendue le 27 décembre : le TA donne raison au Préfet et écrase tous les arguments de droit que Rachad Nourdine avait fait valoir pour plaider son cas. La lecture de la décision administrative donne la nausée, tant elle transpire de mépris et témoigne d’une pratique dominatrice - quasi coloniale - du droit, envers une personne qui, dans sa situation d’“étranger”, aurait eu l’outrecuidance d’user d’arguments juridiques et de demander réparation à l’Etat pour un abus de pouvoir...
« Rachad Nourdine a été victime du climat ambiant ; c’était au moment des événements de Saint-André et l’opinion juridique a été manipulée », ont commenté ici ses proches en apprenant la teneur de la décision de décembre.
En même temps, l’Administration était bien embarrassée. Où fallait-il le renvoyer : à Mayotte ou aux Comores ? C’est ce qui explique le flottement de l’Administration et les presque 3 semaines écoulées depuis le 27 décembre.
Le cas de Rachad Abdou Nourdine, parfaitement défendable, a été “entaché” aux yeux de l’Administration par l’arrivée sur le sol réunionnais, et en situation irrégulière, de son épouse, qui n’en pouvait plus d’être séparée du reste de la famille depuis 8 mois et les a rejoints sur seule présentation d’un visa de tourisme mauricien.
Et c’est ainsi que le 17 janvier, en fin de matinée, la police s’est présentée au domicile du couple. Après avoir permis que les enfants soient recueillis par des proches, les policiers ont emmené Rachad Nourdine et Saouzia au commissariat du Chaudron, où ils ont passé leur première nuit de garde à vue (celle-ci pouvait être prolongée de 24h). La famille avait demandé un délai, jusqu’à la fin de l’année scolaire, pour permettre aux enfants de finir leur année ici. Cela aussi leur a été refusé.
La Préfecture a demandé au tribunal de se prononcer sur un avis d’expulsion de toute la famille vers les Comores, pour mardi prochain. La hâte mise, ces derniers jours, à se débarrasser d’un “gêneur” - un Franco-comorien cultivé, donnant des cours d’anglais dans sa communauté et des cours de rattrapage scolaire - est la marque évidente d’une politique qui demande à tous ses fonctionnaires de “faire du chiffre” (voir encadré). Et lorsque cette politique du chiffre s’abat sur une personne qui a exactement le profil de ce que ce gouvernement du “chiffre” et des “quotas” appelle un candidat à l’« immigration choisie », le cynisme atteint des sommets...

P. David


Les chiffres de la police Sait-on que dans chaque commissariat de La Réunion, les fonctionnaires de police ont pour obligation d’expulser un nombre déterminé d’“étrangers” en situation irrégulière. A Saint-André par exemple, ils doivent en expulser 9 pendant l’année 2008.
Et s’il faut mettre “étrangers” entre guillemets, c’est parce que la police y inclut les Mahorais dont une bonne partie - un tiers de ceux qui demandent le renouvellement de leur carte d’identité, selon des estimations de Mayotte - sont dans l’incapacité de prouver leur état civil. Les expulser, c’est facile... Mais où ? Vers Mayotte, territoire français ?
« Une police qui va chez les gens au nom d’une décision administrative, cela tient de la rafle ! Comme en 1942... », nous déclaraient hier des proches de Rachad Abdou Nourdine, écœurés par les méthodes que déploie la police pour arriver à ses fins.


Mayotte est-elle une “terre française” ?

Après deux heures d’audience hier, l’avocate du couple Rachad Nourdine a demandé et obtenu une audience auprès du juge des libertés pour plaider, lundi, les nombreuses « ambiguïtés juridiques » de ce dossier. Par exemple : quel est l’engagement de l’Etat français pour que les enfants puissent suivre leur père s’il retourne à Mayotte ?
Ou encore, celle-ci : Pourquoi une carte de séjour à Mayotte, territoire français, n’est-elle pas valable à La Réunion, territoire français lui aussi ? La réponse viendrait du fait que La Réunion n’est pas intégrée à l’espace Schengen. Mais il y a plus étrange : l’ex-député mahorais Kamardine avait présenté et obtenu l’adoption, en juin 2006, d’un amendement à la loi sur les immigrés. Cet amendement 232 a ajouté un alinéa - l’alinéa 10a - à l’article 76, qui dit ceci : « Les étrangers titulaires d’une carte de séjour délivrée à Mayotte entrent et séjournent sur l’ensemble du territoire national dans les mêmes conditions que les étrangers titulaires d’une carte de séjour délivrée en application du chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
Or, cet amendement n’apparaît pas dans l’article 761-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Aurait-il été refusé par le Sénat ? Les amendements 233, 234, 235, 237, 238, 239, 240 et 241 ont été refusés et sont mentionnés à ce titre. Mais aucune trace d’un refus de l’amendement 232.
Interrogé à Mayotte, l’ancien député Kamardine garde le silence sur cette étrange “volatilité” de son amendement. Il n’a pas répond non plus à la question écrite que lui a posée à ce sujet un professeur de droit international enseignant à La Réunion. Des rumeurs font état de luttes intestines entre un “ami” de Jacques Chirac et les soutiens du successeur Sarkozy. Mais ce ne sont que supputations, bien sûr...
Les ennuis de Rachad Nourdine viennent rappeler que l’Union Européenne ne reconnaît pas l’existence de Mayotte et qu’une saisine du tribunal de La Haye mettrait la France en difficulté, dans ses pratiques d’exclusion.


Un « immigrant choisi »... indésirable !
Article paru dans Témoignages le samedi 19 janvier 2008

claude

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