AVIS D’EXPERTS SUR LA CHINE À LA VEILLE DES J.O
Xavier Dubois nous fait parvenir un entretien sur la Chine avec Danièle Hainaut et Denis Dammaretz
Chine : "glissement de terrain et tuiles brisées" ... Danièle Hainaut est professeur de Lettres Classiques à la retraite et Denis Dammaretz documentaliste au Lycée Wallon de Valenciennes. Au cours des années 1970, ils se sont pris d'intérêt pour un pays qui tentait un modèle de développement socialiste original. Ils avaient envie de comprendre des événements comme la Révolution culturelle, la rupture sino-soviétique. D'où une curiosité pour le maoïsme, puis un travail de plus de quinze ans au sein des « Amitiés Franco-Chinoises », notamment à la direction nationale de cette association. Aujourd'hui, après une trentaine de voyages en Chine et une étude passionnée des temps longs de sa civilisation et de sa culture, ils partagent ce qu'ils ont pu en apprendre dans le cadre d' un cycle annuel de conférences à la MJC de Saint-Saulve, et l'organisation de circuits variés en Chine. Ils sont disponibles pour tous ceux qui souhaitent organiser des conférences-débats sur la Chine. Denis, Danièle, vous connaissez bien la Chine, quels sont les plus grands changements, selon vous, qui ont le plus marqué le pays depuis les trente dernières années? Denis Dammaretz, Danièle Hainaut : Si tout le monde s'est enrichi, y compris les plus pauvres, les écarts de richesse n'ont jamais été aussi ostensiblement grands. Alors que le rationnement existait encore jusqu'aux années 1980, on assiste aujourd'hui dans certains quartiers de grandes villes à une débauche de luxe. La tendance existe de la création de vastes lieux de résidence complètement fermées, réservés aux nouveaux riches. Globalement, dans ces grandes villes les habitudes s'occidentalisent : fast food, mode occidentale, musique, cinéma... Deux principaux points noirs ternissent largement le bilan de l'ouverture la santé et le chômage. La santé est devenue beaucoup plus chère, nombre de soins ne sont plus vraiment accessibles aux plus pauvres et les frais hospitaliers sont l'une des préoccupations principales des familles. L'Etat chinois promet de créer un système de Sécurité Sociale, et de cette réforme à venir dépend en grande partie le soutien de la population au gouvernement. Le chômage est essentiellement la conséquence de l'abandon par l'Etat de grands pans de secteurs industriels, comme en Mandchourie. Il n'y a guère de réelles indemnisations ou allocations, les laissés pour compte sont livrés à eux-mêmes. Cela influe évidemment sur les conditions de travail de tous : certes, les ouvriers gagnent plus, mais depuis la fin du "bol de riz en fer" leurs droits et leur protection sont moins assurés. En gros, les Chinois adhèrent à ce modèle de "socialisme de marché" qui, à ce jour, assure à la Chine une croissance qui, à des degrés divers, profite à tous. Nous ne pouvons éviter de passer à côté de la « question tibétaine ». Est ce que celle-ci modifie la situation intérieure de la Chine? Change-t-elle quelque chose à la position de la Chine sur le plan international? D.D., D.H. : Il faut d'ailleurs revenir sur le Tibet. Nous y sommes allés plusieurs fois. Historiquement, le Tibet est intégré à l'espace chinois depuis des siècles et aucun traité international n'a jamais entériné l'existence d'un quelconque Tibet indépendant, mythe contemporain né des phantasmes de l'Occident. Il n'en reste pas moins que des différences culturelles importantes creusent un fossé entre les traditions tibétaines et chinoises. Les Chinois ont une culture fondamentalement « laïque », alors que les Tibétains sont imprégnés de religiosité. La mutation contemporaine du Tibet (17% de taux de croissance annuel), parallèle à celle de la Chine, marque en fait son entrée dans un système mondialisé. Évidemment un certain nombre de Tibétains vit mal cette ouverture et cette assimilation, non pas à la Chine, mais à la modernité. Ils redoutent de voir la culture tibétaine se folkloriser. La Chine est historiquement un empire multinational, très différent de notre conception occidentale de l'Etat. Les Tibétains ne sont que l'une des 55 minorités ethniques qui composent, avec les Han (les chinois « proprement dit » qui représentent 94 % de la population), le milliard trois cent millions de Chinois. Les ethnies minoritaires ont cependant une culture aujourd'hui respectée, et une certaine autonomie administrative, voire des avantages (quotas d'entrées à l'université, dispense de la politique de l'enfant unique, ...). Si la question du Tibet émerge tant chez nous, et avec tant d'a priori et de passion, c'est qu'elle est relayée, sinon inventée, par des lobbys parfaitement identifiables et qui n'ont que bien peu à voir avec la défense des Tibétains. Et maintenant, quel est votre avis sur le boycott des Jeux Olympiques de Pékin... D.D., D.H. : Revenons sur les conditions de l'appel au boycott lui-même. L'idée avait été lancée il y a quelques mois, à l'automne dernier, au sujet du Darfour. Dès ce moment Reporters Sans Frontières et quelques autres associations ont appelé au boycott. Mais cela n'a pas pris. La géopolitique africaine ne passionne pas les opinions occidentales. Les dites associations diverses ont donc cherché un nouveau prétexte, plus médiatique : les gentils Tibétains, qu'il est fort gratifiant d'opposer aux méchants Chinois. D'où la campagne en faveur du boycott, qui là, a davantage fonctionné, tant la mystification reposant sur un schéma simpliste de lutte entre le Bien et le Mal dispensait de toute réflexion. Derrière cela, il y a un réel militantisme anti-chinois frisant la xénophobie. Il faut en réalité davantage se questionner sur nous mêmes que sur la Chine en s'interrogeant sur la facilité, même pour des militants progressistes, à s'emballer suite à une campagne médiatique parfaitement ciblée. Cela nous questionne in fine sur la presse française, sur son incapacité, même dans les média progressistes, à fournir une information, sinon objective, au moins contradictoire et nuancée. Ce que nous avons vécu s'est apparenté à une opération de propagande. Et finalement, l'excitation des foules est bien vite retombée. Dans ce cadre, il faut cependant louer quelques journalistes honnêtes, notamment ceux d'Arrêt sur image diffusé sur Internet. Dans le monde politique, Jean-Luc Mélenchon a été longtemps seul à assumer un discours résolument à contre courant. On a même vu des maires communistes arborer sur leur mairie le pseudo-drapeau tibétain, logo publicitaire du pseudo gouvernement en exil largement financé par la manne étatsunienne ! C'est peu dire que nous déplorons l'attitude du PCF sur cette question quand il se contente de relayer l'évangile selon Bush. Pour finir, puisque c'est ce que veulent les lecteurs de Liberté-Hebdo, pourriez-vous nous dire en quelques mots quels sont les grands défis auquel le régime chinois devra s'attacher d'ici les prochaines décennies? D. D., D. H. : Il ne passe pratiquement pas de semaine où n'éclate en Chine de petites émeutes locales, souvent très violentes, sortes de jacqueries sporadiques généralement dirigées contre des potentats corrompus qui abusent de leur pouvoir. Le gouvernement dénonce régulièrement la corruption, y compris dans ses propres rangs, il agit parfois de façon particulièrement radicale et toujours très médiatisée. Le Parti Communiste Chinois a beaucoup changé, ses cadres sont souvent relativement jeunes et dynamiques, leur niveau de formation scientifique et technique est élevé, il reflète de plus en plus les aspirations de la classe moyenne et doit donc rester à l'écoute du plus grand nombre, c'est la condition de son maintien au pouvoir. Comme tous les Chinois ces cadres n'ont pas manqué d'interpréter tous les signes néfastes de cette année 2008, en particulier le séisme du mois de mai, ils se souviennent que ce genre d'évènements annonçait naguère les fins de dynastie. Une très ancienne expression chinoise imagée « glissement de terrain et tuiles brisées » signifiait, par un détour métaphorique, l'écroulement d'un règne impérial. Propos recueillis par Xavier Dubois Sur le site de Réveil communiste