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LE PIGEON BLEU
17 avril 2008

Marx, Engels

A l'heure ou le débat sur l'existence des partis communiste semble séduire quelques uns parmi les cadres dirigeant de partis européens , il me semble intéressant  de poser avec force le débat philosophique, donc politique de la démarche « marxiste », il est bien sur d'actualité pour tous ceux qui pensent que le communisme n'est pas seulement un courant culturel, mais bien une démarche sociètale en devenir... C'est pourquoi j'attire votre attention sur cette démarche.

Roger bretagne


 

Le défi d’une grande édition de Marx et d’Engels en français

La philosophe Isabelle Garo présente en avant-première ce projet éditorial rassemblant plusieurs parties prenantes et qui vise à mettre à la disposition du grand public la totalité de l’oeuvre des deux penseurs.

Longtemps, le projet fut remis sur l’ouvrage, repensé, différé ; on pensa même devoir y renoncer devant l’accumulation des obstacles. Mais la conviction et la persévérance touchent au but et, ce soir, en Sorbonne (*), les artisans de la grande édition de Marx et d’Engels, la GEME, présentent le premier tome de ce qui s’annonce comme une longue aventure éditoriale des quinze années à venir. L’objectif : publier, retraduire une oeuvre - correspondance, notes et articles de journaux compris - devenue presque introuvable ou jamais publiée en français. D’ici trois ans, à côté des premiers volumes en papier, seront réédités sous format électronique tous les textes parus aux anciennes Éditions sociales depuis le milieu des années cinquante. Un travail titanesque, de grande exigence scientifique, d’importance philosophique et politique évidente.

Le défi que vous vous fixez semble véritablement pharaonique. Pensez-vous vraiment qu’il y ait un public pour vous suivre, quand on sait la petite part qu’occupe l’oeuvre de Marx et Engels dans l’édition française aujourd’hui ?

Isabelle Garo. Pharaonique, sans doute, si l’on songe à l’importance de l’oeuvre de Marx et Engels en termes de volume. Nous nous appuyons sur l’édition allemande de référence, celle de la MEGA (Marx-Engels-Gesamtausgabe), qui comportera environ 120 tomes, 49 étant aujourd’hui parus. Notre projet n’est pas de publier l’intégralité de ces volumes, nous laisserons de côté un certain nombre de brouillons et de variantes, les notes de lecture, certaines des lettres des correspondants de Marx et Engels, après inventaire bien sûr. Après estimation, il reste pourtant 90 millions de signes environ, ce qui est considérable, voire pharaonique comme vous dites ! Mais il ne s’agit justement pas d’embaumer Marx et Engels. Le but est de rendre leur oeuvre accessible, à la fois au grand public et aux chercheurs. On ne peut qu’être frappé par cette lacune dans l’espace éditorial français, très en retard sur ses voisins européens. Se procurer les trois livres du Capital aujourd’hui est un véritable parcours du combattant. Des textes aussi fondamentaux que les Manuscrits de 1857-1858 (les Grundrisse) ne sont plus disponibles. Le fonds le plus complet à ce jour est celui qu’ont publié les anciennes Éditions sociales, tout particulièrement à l’initiative de Lucien Sève qui en fut directeur de 1970 à 1982, et qui est à l’origine de notre présent projet. Il faut bien sûr rappeler le travail de traduction accompli notamment par Jean-Pierre Lefèbvre, Gilbert Badia (décédé en 2004), Jean Mortier et, avant eux, par Émile Bottigelli. Mais il ne couvre qu’à peine les deux tiers de l’oeuvre totale et il est difficilement accessible, presque totalement absent des librairies aujourd’hui. Il est donc urgent de relancer le processus de traduction des oeuvres inédites en français, de réviser les traductions existantes, de rénover l’appareil critique, de manière à proposer aux lecteurs un ensemble véritablement cohérent et rigoureux. Dans l’attente des nouvelles traductions, nous republierons aussi une partie des traductions existantes, ainsi que des volumes de choix de textes thématiques. Tout cela devrait rendre une forte visibilité aux écrits de Marx et d’Engels dans les temps à venir.

On parle, depuis quelques années, d’un certain « retour » à Marx, d’ailleurs assez disparate. Néanmoins, nous ne sommes pas revenus trente ou quarante ans en arrière. Lire et étudier Marx ou Engels à l’université relève de l’exception. Vous espérez y changer quelque chose ?

Isabelle Garo. Entre les années soixante-dix et aujourd’hui, la situation a changé, bien sûr. Et pas forcément en pire, en ce qui concerne la réception de l’oeuvre de Marx et d’Engels. C’est à cette époque que le marxisme, ou plutôt les marxismes, qu’ils soient ou non implantés à l’université, vont subir de plein fouet un retournement de conjoncture politique et idéologique, doublé d’une efficace « chasse aux sorcières » institutionnelle. Le résultat est une méconnaissance vaste et durable de la tradition issue de Marx et du marxisme, en dépit d’une riche histoire de la réception de Marx en France depuis le XIXe siècle. Mais il ne s’agit justement pas d’une tradition académique : le regain d’intérêt actuel, qui ne cesse de croître depuis quelques années, la multiplication des parutions, même disparates et fragmentaires, le retour des catégories de classes sociales, d’exploitation, de communisme, pour ne citer que celles-là, témoignent d’un climat nouveau, dans lequel s’inscrit la GEME. En retour, nous espérons faire lire ou relire une oeuvre majeure, dont l’actualité est au moins aussi durable que celle du capitalisme et de la perspective de son dépassement ! Mais j’ajouterais que, quoi qu’on fasse et qu’on pense de ces oeuvres et des analyses qu’elles proposent, leur lecture précise est plus que jamais indispensable pour sortir des « célèbres citations » et de la connaissance par ouï-dire. Grâce à quelques partenariats universitaires, avec les universités de Paris-I et de Dijon pour l’instant, nous espérons en effet susciter l’intérêt des jeunes chercheurs, des enseignants et des étudiants et, d’ailleurs, nous constatons que c’est d’ores et déjà le cas.

Vous prévoyez non seulement de réviser, mais de retraduire de très nombreux textes, c’est l’un des grands axes de votre projet. Pourquoi cette question de la traduction reste-t-elle aussi importante ?

Isabelle GaroI. Oui, la rigueur et la lisibilité des traductions nous importent grandement. De ce point de vue, la qualité de celles qui existent est très inégale. Il s’agit de les rendre plus homogènes, de les intégrer à un projet éditorial global et de permettre au lecteur de suivre précisément la genèse, la reprise, mais aussi le constant retravail des concepts dans une oeuvre qui n’a rien de monolithique. Une telle traduction est la condition pour que les lectures critiques, les interprétations d’aujourd’hui puissent s’appuyer solidement sur les textes, interdisant par exemple d’affirmer de façon aventureuse la disparition de telle ou telle notion sous la plume de Marx ou de lui prêter des thèses qui ne sont pas les siennes. Pour parvenir à ce but, inutile de préciser que les problèmes à affronter sont nombreux et complexes : les textes doivent à la fois rester lisibles, sans néologismes, mais doivent aussi restituer aussi précisément que possible en français un vocabulaire chargé d’histoire. Un seul exemple : le terme d’Aufhebung (dépassement, abolition et conservation), emprunté à Hegel mais redéfini par Marx, dont la traduction en français a soulevé et soulève encore des discussions nombreuses.

Ce travail sur les concepts suppose une traversée transversale de l’oeuvre dans son évolution, et en même temps, vous estimez qu’il faut respecter l’ordre chronologique. Comment concilier les deux objectifs ?

Isabelle Garo. Justement, dans le cas que je viens d’évoquer, celui de concepts « lourds » dont la traduction pose problème, nos choix de traduction seront justifiés dans l’appareil critique que nous allons développer pour chaque oeuvre, et cela notamment grâce aux possibilités offertes par la version électronique, disponible sur le Net et permettant au chercheur d’accéder par des liens à des notes ou notices critiques. C’est sur ce point que notre double perspective, d’édition papier et d’édition électronique, présente un immense avantage. En évitant d’alourdir le texte, elle fournira cependant toutes les informations utiles de façon très maniable, un repérage précis des matières, des concepts utilisés, des auteurs cités, des noms propres, et cela à travers toute l’oeuvre. Par ailleurs, la forme électronique nous libère des contraintes de publication chronologique et nous entreprendrons en même temps les trois sections de la GEME (1/ les oeuvres, articles et brouillons ; 2/ le Capital et ses variantes ; 3/ la correspondance). Parallèlement, nous publierons des volumes en grand format ou au format de poche destinés à une diffusion plus large. Dès 2010, c’est aussi l’ensemble des traductions dont les droits sont détenus par les Éditions sociales qui sera remis à la disposition des lecteurs sous forme électronique.

Vous réunissez des universitaires de disciplines très différentes et vous souhaitez fédérer dans ce projet des courants de pensée très divers. Comment surmonter précisément les inévitables divergences d’interprétation ou de lecture ? Souhaitez-vous impliquer dans cette grande édition les travaux que mènent d’autres chercheurs individuellement ou collectivement ?

Isabelle Garo. Compte tenu de ces objectifs, nous travaillons et voulons travailler à l’avenir en associant le plus de spécialistes possible, de façon collégiale et ouverte. Dans cet esprit, nous multiplions les partenariats avec les chercheurs individuels, mais aussi avec toutes les structures

  • éditoriales, universitaires, institutionnelles au sens large - intéressées par ce projet. Nous avons toujours reçu un excellent accueil, et la liste de nos partenaires et collaborateurs n’est nullement close, bien au contraire, elle ne cesse de s’allonger ces derniers temps ! Quant au travail de traduction proprement dit, il se réalise dans le cadre de séminaires de traduction qui font intervenir à la fois des germanistes, mais aussi des philosophes, des historiens, des économistes, etc., permettant de s’accorder sur des solutions et d’élaborer en même temps l’appareil critique dont j’ai parlé. Nous nous interdisons par contre tout commentaire et toute remarque appréciative. Il s’agit précisément de rompre avec une tradition qui surimpose au texte son interprétation, « officielle » ou non, et qui projette des enjeux et des débats sur une oeuvre qui doit, autant que faire se peut, être restituée pour elle-même et rendue à ses lecteurs, quels qu’ils soient et quelque lecture qu’ils souhaitent entreprendre. Ce principe étant posé, on peut justement parier que la question de l’actualité de l’oeuvre de Marx est promise à un bel avenir.

(*) Ce soir à 19 heures, à l’université Paris-I Sorbonne, amphithéâtre Lefebvre (galerie Jean-Baptiste-Dumas, escalier R, 1er étage).

Prendront la parole : Jean Salem, professeur à l’université Paris-I ; Isabelle Garo, présidente de la GEME ; Serge Wolikow, professeur

à l’université de Bourgogne, président

du réseau des MSH ; Michael Krätke, représentant de la MEGA (Marx-Engels-Gesamtausgabe), professeur à l’université d’Amsterdam, et Robert Hue, président

de la fondation Gabriel-Péri, sénateur.

Entretien réalisé par Lucien Degoy publié dans l'Humanité du 16 avril 2008

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